Gilbert Garcin
Teun Hocks
Robert et Shana ParkeHarrison
Gilbert Garcin
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Gilbert Garcin
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Robert et Shana ParkeHarrison
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Gilbert Garcin
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Gilbert Garcin
Gilbert Garcin
Gilbert Garcin
Robert et Shana ParkeHarrison
FLAMMESH.free.fr
textes de Sandra M.

 

LA THESE IMPOSSIBLE


1-


Ca s’est passé. Un soir de ces journées ectoplasmiques, où elle flotte, agrippée au fauteuil de son ordinateur comme au seul point fixe de son immense appartement exigu. Un soir de ces journées infinies, où tous ces grands auteurs qui ne sont pas elle parlent dans ses yeux et écrivent dans ses oreilles. Un soir de ces journées errantes où tout est loin d’elle : un instrument de musique là-bas, tout là-bas, dans la chambre, et qui se gonfle de silence ; de la terre de modelage là-bas, tout là-bas dans l’entrée, et qui s’aplatit de froid ; un stylo là-bas, tout là-bas sur cette table juste devant elle, et qui sèche de peur ; et elle, là-bas, tout là-bas dans le vide, et qui étouffe d’horreur.

Ca s’est passé. Au coucher du soleil, quand l’obscurité recouvre le néant de ses jours et pave le chemin du néant de ses nuits. Quand elle rampe jusqu’à son lit et trouve la force de s’agenouiller et de joindre les mains. Quand avant de s’endormir elle peut encore dire mon Dieu, oh mon Dieu.

Ainsi de ce soir-là où elle a pu dire mon Dieu, oh mon Dieu. Et où elle a continué : «  Mon Dieu, oh mon Dieu, je ne crée pas. Je ne crée pas. Se peut-il que je ne crée pas ? Se peut-il que je sois la femme d’un créateur et que je ne crée pas ? Se peut-il que je sois la femme d’un créateur ? Mon Dieu, oh mon Dieu. Une femme peut-elle seulement créer ? Et comment une femme peut-elle créer ? »

Ces questions revenaient la hanter, qui étaient nées dans un sourire d’homme. Elle l’entend encore, devant quelques unes de ses peintures achevées, lui faire part de son insatiable besoin de les « projeter au dehors ».Comme elle revoit son poing droit appuyer l’expression d’un long geste élancé au devant de ses hanches. Il éjacule ! Voilà ce qu’elle s’est dit alors. Et l’éjaculation lui est progressivement apparue comme le paradigme de l’élan créatif : le sien, c’est-à-dire aussi celui d’un homme, puis celui d’un trait de sexualité de tous les hommes. Quelle était donc sa façon à elle de créer, sa façon de femme ? Et autour de quel trait spécifique de sa sexualité pourrait-elle l’organiser ? Elle a tenté en vain de répondre. Et puis elle a oublié.

Ainsi de ce soir-là où ces questions lui sont revenues. « Mon Dieu, oh mon Dieu. Une femme peut-elle seulement créer ? Et comment une femme peut-elle créer ? Et puis, à la fin, qu’est-ce que créer ? » Et c’est là que ça s’est passé. Elle s’est relevée et dirigée sur un sol ferme jusqu’à la bibliothèque, pour en extraire péniblement le lourd dictionnaire des noms communs : action, bouillabaisse, crever… non, c’est avant ! credo, ah, voilà, créer. Créer : tirer du néant ; donner l’être, l’existence, la vie. Elle qui ne saurait éjaculer, il fallait donc qu’elle accouche !

Voilà comment, pour la première fois depuis des mois, elle n’a pas dormi de la nuit. Voilà comment ça a commencé. Voilà comment. Ca s’est passé. Un de ces soirs à l’aube de ses trente ans.


2-



Voilà comment son désir de créer est devenu nécessité d’accoucher. Alors, qu’est-ce qu’accoucher ?

Elle a accouché, une fois. D’un petit humain. Il fallait qu’elle pousse, et pousse hors d’elle quelque chose qu’un homme avait déposée en elle, longtemps avant, et qui avait grandi et qui voulait sortir. Or, s’il en est de la création comme d’une grossesse, il faut d’abord qu’elle apprenne la patience. Elle voudrait tant parler déjà de thèse impossible. Mais elle doit encore les retenir et attendre que sa lente germination pousse jusqu’au dehors d’elle. Exactement comme cette idée de la femme créatrice qu’un sourire d’homme avait mise dans son esprit, qu’elle avait oubliée, et qui se déroule maintenant dans un tapis de mots.

Elle a accouché, une fois. D’un petit humain. Mais elle ne l’a pas senti. Ni l’homme qui l’y avait déposé longtemps avant. Elle flottait au-dessus du lit. Et de la table d’accouchement. Elle flottait au-dessus de son sexe. Or, s’il en est de la création comme d’une grossesse, il faut encore et résolument qu’elle apprenne son sexe.


3-


Apprendre son sexe. Dieu, quelle expression ! Si elle parvient à se loger en son centre, si son cyclone ne la divise pas, dans tous les sens, alors se construira peut-être une autre marche dans son sol en gestation.

Car apprendre son sexe, c’est justement d’abord tenter de raccrocher à son ventre : ses yeux, ses oreilles, son nez, sa langue et toute sa peau, pour que tout ce qu’ils éprouvent s’écoule par ce canal. Ce seul canal. C’est en finir avec un cerveau lent, à des années lumières du corps, et ne tenant plus qu’à un fil de vie. C’est s’unir, non plus contre mais bien avec. Avec lui, le créateur, son créateur, son amour créateur.

Mais apprendre son sexe, n’est-ce pas aussi chercher comment les autres femmes affrontent ces questions-là ? Ces Simone et ces Françoise créatrices, comment avaient-elles approché leur sexe ?  Et quels hommes avaient attendu derrière elles, s’il y avait seulement eu des hommes ? Et ces Hannah, Camille, Lou et autre Simone, dont on dit qu’elles ont aimé ou ont été aimées des créateurs, comment ont-elles inspiré et puisé tant de force créatrice ? Et pourquoi ne lui vient-il pas d’autres noms de femmes ?

« La création au féminin, essai d’une théorie sexuée de l’élan créatif ». Tel aurait pu être alors le sujet de sa thèse. Elle ne sait pas vraiment en combien de parties elle l’aurait divisée, ni quel en aurait été l’enjeu théorique fondamental. Mais elle s’imagine jeter fièrement son tome au titre reluisant sur une table poussiéreuse de jury… jury de quelle chair, au fait ? Lettres modernes, philosophie, psychologie, ou pourquoi pas sciences politiques ?Oui, mais voilà : elle n’a pas de parties, ni de gros tome à jeter sur une table. Tout comme elle ne veut pas se diviser, ni appartenir à d’autre chair. Car voilà : son enjeu fondamental ne peut pas être théorique. Car voilà : elle n’écrira jamais de thèse.


4-


Elle n’écrira jamais de thèse. A cause de sa peur des hommes. Or, la Connaissance est un homme. Un homme d’affaires, qui produit  des concepts pour les vendre ; un trafiquant d’idées, qui quantifie la vérité pour séduire, un usurpateur des morts qui s’appelle penseur de son vivant. Et un homme violent, qui lui entre brutalement dans la tête ; un psychopathe qui dissèque froidement la pensée de son origine, la taille comme une balle de révolver pour la lui tirer en plein front ; bref, un menteur criminel, qui ne dit rien de la difficulté et de la peur de connaître.

Elle n’écrira jamais de thèse. A cause de son amour pour un homme. Un homme sans affaires, qui lui a dit « suis-moi ». Alors, avant d’être elle, elle a été lui. Avec lui, elle a enterré ses diplômes et ses vêtements dans les sous-sols du passé. Avec lui, elle s’est couchée des années, dans une nudité patiente, jusqu’à ce que les cris et les larmes lavent une à une ses peaux sociales. Jusqu’au vif de la gratuité. Jusqu’à n’être plus que posthume. Aujourd’hui, ce qu’elle sait ne doit plus rien à la marâtre Connaissance. Aujourd’hui, sa connaissance a reconquis son origine pour être enfin et seulement : naissance avec. Avec lui.


5-


Elle n’écrira jamais qu’une thèse impossible. Unèse impossible à soutenir devant des contemporains cynocéphales, consuméristes et consensuels, qui dévorent les conclusions comme des cacahuètes. Tandis que son écriture fertile ne peut accoucher que de chemin et de cheminement gémellaires, aux résultats indissociables de leur recherche gestative. Tandis que son écriture saline ne peut censurer que ce qu’elle n’a pas écrit avec le sang.

Elle n’écrira jamais qu’une thèse impossible. Unèse impossible à comprendre pour ceux qui n’ont jamais aimé. Les livres, que l’ont croyait définitivement fermés. Un homme, que l’on croyait perdu.

Elle n’écrira jamais qu’une thèse impossible. Unèse impossible à aimer pour ceux qui ne peuvent pas comprendre. Qu’il s’agit bien plus que d’une thèse. Car voici une déclaration d’amour, une déclaration d’amour créatrice. Quand la création et l’amour se conjuguent ensemble au féminin. Une déclaration d’amour prophétique. Quand le seul élan d’amour parvient à entremêler les destinées d’un homme et d’une femme qui commencent à créer à celles des plus grands autres créateurs et créatrices. Une déclaration d’amour poétique pour « Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire, / Tout dise : ils ont aimé ».


6-


Voici ce qu’elle écrit, depuis que ça s’est passé. Voici ce qu’elle crée, depuis qu’elle sent, qu’un homme l’aime, qu’un homme l’aime parce qu’elle crée et qu’alors elle crée pour qu’il l’aime.

Ainsi, c’est sa liberté qu’elle crée, en la renversant. Car c’est cela qu’elle voudrait qu’il lise quand il reviendra auprès d’elle se reposer de ses propres créations. Et son attente, et toute la force créatrice qu’elle déploie pour donner du sens à cette attente. Tout comme c’est cela qu’elle voudrait qu’on lise quand on cherchera à comprendre sa liberté, quand on découvrira que s’il avait jamais eu de femme, c’était d’abord aussi et nécessairement une femme libre.

 

émail

SUC

1-

A la fin, c’est ça. Une tique. Mais au début, c’est rien. Rien. De l’indifférence. Mais l’indifférence, c’est déjà quelque chose. L’indifférence, c’est déjà un mot. Tandis qu’au début, il y a pas de mots. Au début, c’est rien. Un œuf sorti d’un trou. Ca flotte. Ca flotte au-dessus. Ca flotte au-dessus d’elle. Oui, c’est ça. Elle, elle range. Et ça, ça flotte au-dessus d’elle. Elle, elle fait le ménage. C’est plus fort qu’elle, ça. La poussière, les éclaboussures, les odeurs. Et surtout, les objets. Juste un œuf. Il faut toujours les remettre en place, les objets. Exactement à leur place. C’est fatiguant, les objets. Ca bouge. Et surtout, surtout, cet objet qui marche. Un homme. Un rond. Il faut le nettoyer. C’est fatiguant, un homme. Un rond qui contient l’embryon en germe. S’en débarrasser. Faire le ménage. Le mettre à la poubelle. Pour ça. Pour que ça flotte au-dessus d’elle. Si c’est dérangé, c’est fou. Un rond qui contient les substances destinées à le nourrir pendant l’incubation. Si c’est dérangé, si ce n’est pas exactement, exactement à sa place, ça ne peut pas flotter. Un œuf. Si c’est dérangé, si un seul objet n’est pas à sa place, elle peut se cogner dessus, elle va se cogner. Elle peut se faire mal, elle va avoir mal. Son regard peut buter sur ce changement, son regard va buter. Et pleurer. Ca fait mal, le changement. Alors que quand ça flotte, ça fait pas mal. Rien ne fait mal. C’est rien. Juste un œuf. De l’indifférence, mais avant l’indifférence. Avant le premier stade de la première mue ovipare.

2-

A la fin, c’est ça. Une tique. Au début, c’est rien. Et puis, imperceptiblement, ça devient quelque chose. Quelque chose d’autre. Une larve. Imperceptiblement, ça devient autre. Parce qu’elles reviennent, la poussière, les éclaboussures, les odeurs. Parce qu’il revient, l’homme. L’autre. Il est là, debout dans le salon, sur le tapis. Il a gardé ses chaussures. Une larve ne possède pas d’ailes. Les pieds vont bouger. Ca va commencer à faire mal. Une forme embryonnaire. Ca ne flotte plus. Ca tombe. Les yeux roulent sous les chaussures. La gorge serre, referme l’arrivée d’air. Comment faire. Elle essaie de remonter là haut, la où ça flotte. Tirer sur les yeux, en dessous des chaussures. Une larve est incapable de se reproduire. Remonter le corps. Le corps étranger. C’est loin, des chaussures à là où ça flotte. Il y a le tissu, la poussière, les odeurs sur le tissu. La gorge, la bosse sur la gorge. La bouche humide avec les dents rangées dedans. Mais il sourit. Un corps allongé, mou, divisé en anneaux mobiles. Il sourit alors que ça fait mal. Il accroche les yeux qui essaient de remonter là où ça flotte alors que ça fait mal. Il donne envie. De sourire aussi, alors que ça fait mal. En pleine mue hexapode.

3-

A la fin, c’est ça. Une tique. Au début, c’est rien. Et puis, imperceptiblement, ça devient quelque chose d’autre. Une envie. Une protonymphe.